Série noire sur fond blanc

par Jesshuan Diné

’’Qu’est-ce que c’est qu’ce cirque ?!’’ se serait exclamé l’agent de police (à moins qu’il ne s’agisse déjà d’un drone ?) au moment où il aurait mis les pieds dans l’appartement jonché de bouts de verres et de quelques débris en bois de la porte qui venait d’être fracassée à coups de bélier, quelques heures après que l’artiste eut exécuté depuis la fenêtre son dernier grand saut dans le vide (comme une ultime performance ?), en mini-short, alors qu’on était pourtant en hiver, tout en criant ’’La coupe est pleine ! ’’, référence probable au décret lié à l’énième non-puis-oui-puis-non-réouverture des salles de spectacle suites aux annonces d’une cinquième vague, sans référence aucune, cette fois, à un film catastrophe pour teenagers sorti en 2016 (bien que certains eussent affirmé tout de même par la suite que ce décret constituait bien une catastrophe d’un autre ordre) ; artiste, donc, se scratchant en bas tandis qu’en haut à l’étage il laissait derrière lui manifestement une œuvre inachevée et pourtant prolifique : quantité de photos accrochées au mur, cartes postales, estampes chinoises, citations, vidéos, mais aussi différents portraits de Maradona, roulette de casino, intégrale silencieuse de John Cage, programme d’Actoral flouté et filmé en gros plan, papier simplement froissé, quantité de stupéfiants, préservatifs usagés dans la cuvette, vêtements jetés en boule, matelas au sol… ainsi qu’une série d’œuvres respectivement numérotées de 67 à 94 (pour celles et ceux qui auraient suivi la numérotation du départ) déplacée ici même avec une minutie extrême et redisposée en conservant toutes les distances entre chaque objet, et quoique maintenant sur fond blanc (l’appartement initial avait conservé ses papiers peints d’un goût douteux qui tiraient sur le jaune à cause de la fumée de cigarette) ; une série d’œuvres, donc, accompagnée de l’ensemble du mobilier de l’artiste, sous prétexte qu’il est encore aujourd’hui difficile de distinguer dans l’habitat d’origine ce qui relevait de l’œuvre elle-même de ce qui relevait du simple quotidien le plus banal, de même que l’artiste, avant sa mort, et à l’image de beaucoup d’entre nous, avait de plus en plus de mal à distinguer ce qui relevait du véritable événement de ce qui relevait d’une attente interminable… Série intitulée post-mortem Post-mortem par nos différentes et successives équipes de conservateurs.
Dans la salle suivante, l’espace étant vide, nous avons fait le choix, contre toute attente, et contre la volonté de l’artiste lui-même, de ne rien disposer de son œuvre… mais de l’expliciter quand même par différents cartels qui, mis bout à bout, forment une nouvelle citation empruntée à l’essayiste contemporain Francesco Masci :
’’ Au centre de la société un vide toujours réoccupé.1’’

Et pour se faire, un simple lien de téléchargement vers l’application Tous-Anti-Pour-Anti-Contre.

1in Superstitions, éditions Allia ; 2005

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